Mois : octobre 2022

Ouragan, nom féminin, s’accorde en genre

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Je me promenais sur l’air du temps quand je croisais l’ouragan. Dans le langage du vent – que je parle couramment – je la saluai. Sa courtoisie en retour m’adressa un parfum d’alizé, un peu suranné. Tant excitée et toute mouillée qu’elle était, je l’invitai à prendre la nage sur la mer que borde Calais. Poliment elle refusa, pressée qu’elle était par un voyage en pays antillais, prévu depuis juillet. J’imaginais et… ce que j’imaginais, était un trip des plus mauvais. Pour en hâte son élan freiner, pour de la retenir au nord tenter, je proposai gourmandises et légèretés, frites et glaces chocolatées, danseurs nus à la télé… Rien n’y faisait ; je voyais dans son regard le vent au-dedans s’agiter. Je tentai une question, avec prudence sur l’origine de sa violence… J’obtins un grondement pour réponse, puis ce discours en sentence : elle ne pouvait remettre à demain, demain, dit-elle, déjà est trop loin. J’essayais, fol que j’étais, de convaincre encore, pensant aux femmes, aux hommes là-bas, j’en perdais le nord. L’humanité, on a beau contre elle pester, on aime la sauver.

Pensez-vous, demandais-je, profil bas, à ces gens qui vivent là-bas ? Peut-être voudriez-vous réviser votre pas ? Vous, me dit l’ouragan, vous, les peuples d’humains, vous convoitez, envahissez, puis asservissez les terres, les mers, comme un droit, pas comme une nécessité. Ces terres dressées que certaines vous nommez saintes, la soie des plages, la douceur des flots, l’horizon que le soleil teinte, ne sont pas les vôtres alors que vous vous y répandez sans crainte. Locataires au mieux vous êtes.

Son discours faisant, j’observais son œil immense, j’argumentai en transe : le territoire des eaux est si dense, au large de nous, vous pourriez donner votre danse, sans dommages, sauf quelques marins dans leur innocence. Je le savais, j’étais hors sujet, mes mots s’envolaient au vent de Calais.

Je ferai ce que j’entends, dit-elle enfin, levant sa traîne enroulée sur son œil sans cristallin, il ne sera pas midi que demain, je me vautrerai en pays caraïbéen et, de maintes îles, je ferai ma faim. Mon temps ne compte pas, rien en moi jamais ne sera meurtri, je suis cet oiseau qui de ses cendres en son temps renaquit car vous me donnez chaque jour un peu plus du feu qui me grandit. Le réchauffement est un cadeau, je vous remercie, et sachez ceci : pour demain ou pour un autre temps, de ce monde je ferai par les vents et les mers agitées, un univers où seule je régnerai. Je suis le monstre à nourrir qu’il ne faut point aimer car je ne suis jamais rassasiée, de vous je me repaîtrai, jusqu’au dernier, soyez sûr de cela autant que m’appartiennent les terres, aussi vrai que j’appartiens à la Terre. Ce n’est qu’un commencement, mon œil, vous l’avez oublié, est celui qui, dans la tombe, Caïn déjà regardait.

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© JPT
Illustration empruntée à la toile :
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