Mois : mars 2022

Matthéo

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J’ai (re) lu et forcément (re) découvert le très beau roman graphique (cinq tomes) de Jean-Pierre Gibrat : Matthéo, à travers lequel résonnent les évènements de l’invasion russe en Ukraine, qui navre et mène à l’effroi.

L’auteur de cette bande dessinée spectaculaire (au sens cinématographique) et littéraire, emporte ses personnages dans le geste toujours renouvelé de l’idéalisme et du patriotisme, traitant au passage des abysses de l’âme, de la complexité de ses tourments et des hasards qui ne sont que des rendez-vous (Merci Paul). Ici pas vraiment de bons ni de méchants, plutôt des êtres malmenés par leur époque, leur éducation, leur culture, leur bonne ou mauvaise étoile.

L’histoire commence en France, à la frontière espagnole. Nous sommes à la veille de la Grande Guerre, celle qui devait être l’ultime. Mattéo, jeune homme tendre et rêveur, opposé à la folie guerrière, finit par rejoindre le contingent de chair à canon rôti dans la boue de l’est du pays. Il en revient, blessé dans sa chair, et comme ses frères de tranchées, profondément meurtri dans son sentiment. Dans cet esprit, révolté par tant de violence humaine, il profite de sa convalescence chez lui, pour gagner en déserteur l’Espagne par le chemin maritime de la contrebande. Il est accompagné par un ami de son père, anarchiste et idéaliste bien décidé à joindre la terre russe pour en découdre avec les tsaristes. Nous somme bientôt en 1917. Mattéo suit le mouvement et se jette dans ce qu’il pense encore être la juste mesure à appliquer contre la dictature.

Plusieurs années plus tard, après tant d’aventures humaines sous la glace des plaines blanches comme les nommait Napoléon, déçu encore par les idées reçues, Mattéo regagne la France, pour une longue parenthèse enchantée, comme un état de grâce, à vivre des étés parfaits jusqu’en août 1936. Car il n’y a de ciel qui ne se couvre… Le voici à nouveau contraint de reprendre le chemin de l’Espagne, en pleine révolution populaire, où il aura là encore toute latitude pour se frotter aux cœurs de ces hommes et de ces femmes jetés dans le tourbillon utopique d’une liberté fraternelle.

Ainsi se terminera cette histoire, en janvier 1939, dans la déception hispanique, nourrie tout au long du propos par la douceur et la force des personnages féminins, omniprésents, qui enrichissent pleinement la narration et nous rappellent que l’essentiel est dans l’amour, l’amitié et le respect de ces sentiments. A noter les textes très écrits de Jean-Pierre Gibrat dont les mots nous portent bien plus loin que le dessin de l’auteur. C’est là que se pose sans doute la force de cette histoire, toute cinématographique, graphique, romanesque et littéraire à la fois.

Merci à l’auteur pour le voyage.

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© JPT

Illustration : Jean-Pierre Gibrat, Matthéo, tome 4. Chez Futuropolis.

« Au moment de risquer sa peau, on se demande si c’est une bonne idée d’avoir des idées… On se dit finalement, la révolution, c’est la guerre avec des prétentions d’idées… Pas plus… »

(Jean-Pierre Gibrat)